Se souvenir d’une ville

 

Une poignée de cinéastes se replonge dans les images qu’ils ont tournées du siège de Sarajevo. Poignant.

L’un des plus beaux films du monde dure deux minutes. En 1993,en pleine guerre de Bosnie, Jean-Luc Godard signe Je vous salue Sarajevo, à partir d’une seule photographie de presse qu’il découpe par le montage et accompagne d’un texte miraculeux et inépuisable, conté de sa voix d’outre-tombe. Pour Se souvenir d’une ville, Jean-Gabriel Périot retourne à Sarajevo. Le premier mouvement du documentaire est exclusivement constitué de films d’archive et de rushes retrouvés lorsque de jeunes cinéastes (entre15 et 25ans) filmaient la ville assiégées, sur le terrain. Dans le premier plan, pris depuis la fenêtre d’un appartement et qui donne sur les rues et les immeubles de Sarajevo, on entend ce qui est à la fois une consigne de mise en scène et de survie : « Regarde quand ça ne tire pas, sinon ferme le rideau. »”Au nom de quoi, depuis l’intérieur, fallait-il lever le voile sur l’indicible, sur l’immontrable ? Les raisons qui poussent à filmer dans un tel état d’urgence et de chaos trouvent ensuite une nouvelle perspective dans la deuxième partie, où l’on retrouve ces cinéastes trente ans plus tard, inscrits dans des lieux choisis, essentiellement ceux où ils ont tourné à l’époque. En ces mêmes endroits, ils revoient leurs propres images sur une tablette et en livrent leur interprétation. Ils commentent leur ressenti, à la fois en tant que spectateurs et acteurs de la guerre, mais se posent aussi des questions de réalisation, sur le regard qu’ils portaient alors sur les horreurs dont ils étaient témoins comme victimes. Ce double mouvement, inévitablement, résonne avec les images qui nous parviennent aujourd’hui des guerres en cours, jusqu’à une réplique finale qui serre l’estomac et ouvre sur un abîme, produisant un vertige identique à celui du film de Godard.

 

Arnaud Hallet
Les Inrockuptibles
Novembre 2024